Haine en vente ici: des maisons de disques québécoises offrent une tribune à des groupes de métal Nazis

Ils se disent apolitiques, mais vendent la musique de groupes racistes et extrémistes, créant un espace sécuritaire pour les néo-Nazis tout en faisant des profits.

Sébastien Roback
Canadian Anti-Hate Network



Un soir de novembre en 2016, des métalleux se préparaient pour une nuit de musique forte et de rituels sombres à la Messe des Morts, le plus grand festival de Black métal en Amérique du Nord. Mais au lieu de se rencontrer «dans le pit», les festivaliers se sont plutôt rencontrés devant des portes verrouillées, suite à l’annulation du concert par les organisateurs.

À l’extérieur du Théâtre Plaza, des dizaines de manifestants antifascistes s’étaient pointés pour démontrer leur mécontentement contre la venue de Graveland, un groupe lié à la scène Black métal national-socialiste, comme tête d’affiche du festival.

Les paroles des chansons de Graveland parlent surtout de leur croyances païennes et de la culture Viking, mais le groupe a longtemps été l’objet de critiques pour l’idéologie «d’extrême-droite national-socialiste» de son chanteur, pour l’admiration que celui-ci a exprimé envers Adolf Hitler en le décrivant comme l’exemple parfait «de l’idée d’un empire Blanc», ainsi que pour ses collaborations répétées avec des néo-Nazis.


Rob Darken, chanteur de Graveland (millieu), avec des membres du groupe néo-Nazi Honor. Source: Dure Réalité

En dépit du chaos causé par l’annulation du concert, les organisateurs de la Messe des Morts ont invités, l’année suivante, le groupe allemand Nargaroth, lui aussi lié à la scène NSBM. Selon un rapport publié par Dure Réalité, un zine montréalais antifasciste, plusieurs spectateurs portaient des symboles néo-Nazis et ont fait des saluts Hitlériens lors de la prestation du groupe.

Sepulchral Productions, la compagnie derrière Messe des Morts, s’est jusqu’à présent défendu des critiques en disant que leur festival vise uniquement à célébrer le métal «underground» et est apolitique.

Cependant, le site web de la compagnie, où ils vendent aussi de la marchandise et de la musique, soulève de nouvelles questions. Disponibles pour achat sont des items de groupes comme Nekrokrist SS, PD SS Totenkopf (nommé à l’honneur d’une division des SS durant le seconde guerre mondiale), Nokturnal Mortum (lié aux néo-Nazis du Régiment Azov) et Satanic Warmaster, tous liés à la scène NSBM.


Capture d’écran d’un compilation hommage pour le groupe Graveland incluant plusieurs groupes NSBM, en vente sur le site de Sepulchral Productions.

Sepulchral Productions n'a pas retourné nos courriels lorsque contactés pour leurs commentaires.

Une scène polluée par la haine

Pour aussi longtemps que le Black métal a existé, des néo-Nazis ont tenté d’utiliser le genre pour partager leur propagande, recruter de nouveaux membres, et lever des fonds.

Mais contrairement à d’autres maisons de disques comme La Barricade, un label lié au groupe néo-Nazi Misanthropic Division Vinland, Sepulchral Productions est une companie relativement «mainstream», qui ne réclame pas d’affiliation avec des idéologies haineuses. 

En vendant de la musique enregistrée par des groupes néo-Nazis et en invitant des groupes liés à la scène NSBM comme tête d’affiche de leur festival, ils sont capables de faire des profits en donnant une tribune à des individus racistes, sans toutefois endosser leurs croyances. 

Ce n’est par contre que la pointe de l’iceberg d’une scène musicale qui a souvent été condamnée pour son apathie face à la haine, puisque plusieurs autres maisons de disques opèrent de façon similaire.

Par exemple, Corde Raide productions, un plus petit label qui a travaillé avec plusieurs groupes populaires de la scène Black métal québécoise - en plus d’artistes NSBM comme Soleil Noir et Maeströ Cröque Mört - vendent des cassettes de groupes néo-Nazis comme Hollentur.


Un album par le groupe Maeströ Cröque Mört, en vente sur le site de Corde Raide. La couverture de l’album montrent un homme devant un soleil noir, un symbole néo-Nazi.

Une autre maison de disques plus établie, Tour de Garde, travaille autant avec des artistes NSBM qu’avec des artistes apolitiques, sans toutefois s’afficher en faveur d’une idéologie ou d’une autre.

Ce label montréalais, actif depuis 2001, appartient à Pierre-Marc Tremblay, un musicien bien connu de la scène Black métal québécoise qui fait partie du groupe Akitsa sous le nom d’Outre-Tombe. 

Trememblay (au milieu) avec Akitsa. Source: Youtube

Tremblay a été critiqué dans le passé pour ses liens avec la scène NSBM. En 2004, son groupe Akitsa à publié un album en coopération avec Satanic Warmaster, lié au NSBM, qui inclus une chanson nommée «Six Million Tears» (Six million de larmes) - en référence aux six millions de victimes juives de l’Holocauste, enregistrée par ces derniers. En 2009, le groupe a aussi offert une chanson à Eight Acts of Origin, une compilation incluant la musique de Gaszimmer, un groupe italien ouvertement néo-Nazi. Cet album a été limité à 488 copies.

Plusieurs maisons de disques NSBM choisissent de publier 88, 488, ou 1488 copies de leurs albums, en référence à un symbole numérologique néo-Nazi utilisé pour signaler son support envers la suprémacie blanche et Adolf Hitler.

Pour sa première tournée à vie, Akitsa a partagé la scène avec Peste Noire, alias Kommando Peste Noire, un groupe français ouvertement fasciste qui supporte la milice néo-Nazi Régiment Azov. Tremblay apparaît aussi comme chanteur-invité sur la chanson «Une lame pour les infâmes» d’un autre groupe NSBM français, Baise Ma Hache. 

Dans une entrevue publiée par Vice en 2015 après la publication du plus récent album de son groupe, Tremblay a indiqué que sa collaboration passée avec des groupes NSBM n’avait aucune intention politique, faisant écho au même dicton utilisé par Sepulchral Productions pour se défendre d’accusations similaires. Ce même article décrit cette citation comme «l’écrasement» des rumeurs entourant les liens d’Akitsa avec le NSBM.

Tout comme son propriétaire, Tour de Garde a longtemps travaillé avec des groupes de musique haineuse. En tant que maison de disques, ils ont publié des dizaines d’albums enregistrés par des artistes comme Légion Totenkopf, Kristallnacht, et In Ketten.

Plusieurs de ces albums comportent des paroles ou des images explicitement antisémites. La couverture de «L’Empire du Juif», un album coopératif des groupes Unheilvoll et Chant de Guerre, aussi publié par Tour de Garde, montrent une vraie photo de cadavres tirés des camps de concentration allemands. L’album inclut aussi une chanson nommée «Mort à cet empire».

Le site web de Tour de Garde, ainsi que son compte Discogs, montrent aussi des dizaines d’albums de groupes racistes, comme ceux des groupes NSBM québécois Hollentur et Holocauste. La description de ces articles varie de «totalement extrême» à «culte et radical», n’admettant que rarement la vraie nature de ceux-ci.

Par contre, la description de l’album Southern Darkness par Mardraum se veut plus honnête: «une régurgitation de haine sans compromis qui s’élève depuis la mer de merde qui dérive des Juifs avides d’argent et des moutons politiquement corrects qui ne peuvent pas penser pour eux-mêmes».

Capture d’écran d’un article en vente sur le site de Tour de Garde.

Une version archivée du compte Blogspot de Tour de Garde, ou le label partageait auparavant ses listes d’articles disponible en vente par correspondance montre un nombre désolant d’albums par des groupes comme Der Stürmer, Pogrom, et Absurd.

Pour plusieurs de ces albums, Tour de Garde ne donne qu’un avertissement cryptique: «Si vous avez besoin d’une description, vous n’avez pas besoin de ce produit.»

Tour de Garde et Pierre-Marc Tremblay n’ont pas répondu à notre requête de commentaires.

 

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