Nomos-TV bannie de Youtube suite à une plainte du Réseau canadien anti-haine

La web-télé « ethnonationaliste » la plus populaire du Québec a perdu accès à ses quelques 30,000 abonnés, mais demeure active sur plusieurs autres plateformes.

Sébastien Roback
Réseau canadien anti-haine



En Mars 2019, un suprémaciste blanc armé jusqu’aux dents fait éruption dans deux mosquées à Christchurch, Nouvelle-Zélande, et tue 51 fidèles. La communauté internationale exprime son désarroi face à ce que la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern décrit comme l’une des journées les plus sombres de l’histoire de son pays. Mais dans cette tragédie, plusieurs voient des opportunités qui se dessinent. 

Parmi ceux-ci, Alexandre Cormier-Denis, figure proue de Nomos-TV, une « web-télé nationaliste » qui vise à défendre la culture, la langue, la religion et l’ethnicité de la « race canadienne-française » et qui jusqu’à dimanche dernier bénéficiait d’un accès à plus de 30,000 abbonés sur Youtube. Leur chaîne a depuis été supprimée suite à une plainte de la part du Réseau canadien anti-haine. Leur compte TikTok a aussi été banni.

Dans un épisode de son émission mis en ligne quelques jours après la tuerie, Cormier-Denis dénonce le multiculturalisme et l’immigration, qu’il blâme pour les tueries Islamophobes. 

« Ce qui s’est produit en Nouvelle-Zélande, c’est la démonstration de la faillite de ce modèle-là, c’est la faillite de l’immigration massive combinée au multiculturalisme qui donne une espèce d’ambiance de guerre civile larvée avec des attentats ou les uns répondent aux autres. »

Sans toutefois endosser les actes du tireur, cette affirmation est très similaire à ses propos émis quelques semaines auparavant, lors du procès d’Alexandre Bissonnette.

« Symboliquement, cette tuerie représente le rejet du corps social québécois envers l’Islam, » dit le ténor Cormier-Denis sur Nomos-TV, en dépit du fait que ses collègues Philippe Plamondon et Sébastien de Crèvecoeur nient ouvertement que le geste de Bissonnette aurait pu être motivé par l’Islamophobie. Selon eux, ses desseins étaient « flous » et il n’existe aucune documentation qui montrerait que Bissonnette s’intéressait aux politiques d’extrême-droite.

C’est, bien sûr, complètement faux.

En fait, des preuves présentées lors de son procès montrent qu’il que Bissonnette était plutôt  était « obsédé par Donald Trump », qu’il portait des casquettes « MAGA » et qu’il suivait notamment enlevé le notamment les comptes Twitter de figures d’extrême droite comme le conspirationiste Alex Jones et l’ancien dirigeant du Klu Klux Klan David Duke pour ne nommer qu’eux.

Dans l’univers de Nomos-TV, cependant, la vérité et les faits établis sont un obstacle à la promotion d’un nationalisme blanc à la sauce québécoise, peaufiné afin de créer des ponts entre le camp souverainiste et l’extrême-droite. Malgré le fait qu’ils aient perdu accès à plus de 30,000 abonnés, ils promettent de revenir en force.

 

Le nationalisme blanc, blanchi à la chaux

 

À la même époque où il lançait Nomos-TV, Alexandre Cormier-Denis se présentait comme candidat dans une élection partielle dans le comté de Gouin. Malgré qu’il n’ait reçu le support que de 81 électeurs (0.57% du total des votes), sa campagne créé une certaine controverse en raison du racisme exprimé par ses pancartes électorales , qui montrent une femme vêtue d’une burqa, avec en sous-titre « le multicultralisme canadien, non merci! »

L’une des pancartes électorales de la campagne Cormier-Denis. Source: Montréal Antifasciste.

Le parti pour lequel Cormier-Denis s’est présenté, le défunt Parti indépendantiste, avait fait face à de nombreuses critiques dans le passé, en raison de ses liens étroits avec des néo-Nazis. En 2011, le blogue antifasciste FachoWatch avait rapporté que Sébastien Moreau, un membre du gang skinhead « Ste Foy Krew » avait servi comme président du parti

Depuis cette première baignade dans les eaux de la politique, Cormier-Denis s’affiche ouvertement comme ethnonationaliste, qu’il considère comme la seule position qui pourrait garantir l'indépendance de la Belle Province.

« Moi-même, j’ai vécu ce processus-là, de passer d’un patriotisme civique à une position plutôt ethnonationaliste, tout simplement parce que c’est la seule qui a du sens. Si les canadiens-français deviennent minoritaires au Québec, oubliez-ça votre petite souveraineté. »

Or, ce ne sont pas tous les francophones qui habitent au Québec qui sont considérés comme « canadiens-français » selon Cormier-Denis.

« Les immigrés, même francophones, musulmans, Haïtiens, que sais-je encore, ils en ont rien à foutre de la souveraineté. »

Aux yeux de Nomos-TV et de ses hôtes, les « canadiens-français » forment une race distincte, définie par sa culture et sa langue, mais aussi par sa couleur de peau et son ethnicité. Cette race, selon eux, fait face à la menace existentielle du Grand Remplacement - une théorie du complot centrale à l’idéologie nationaliste blanche selon laquelle les populations blanches des pays occidentaux se font remplacer au travers de l’immigration.

« La seule place où il demeure une réelle culture francophone vivante en Amérique, où la race canadienne-française demeure en vie, vraiment en vie, c’est au Québec. Le Québec est le foyer national des canadiens-français. Nous sommes devenus une minorité partout sur le continent, et ça se passe ici aussi. Il ne faut pas se mentir, les pressions démographiques vont être très fortes dans les prochaines années » dit Cormier-Denis dans un épisode de Nomos-TV sous le thème du Grand Remplacement.

Ces dernières années, plusieurs groupes haineux se sont désistés d’utiliser des termes controversés comme « nationalisme blanc » et « race blanche » choissisant plutôt des termes blanchi à la chaux comme « ethnonationalisme » et « race canadienne-française ». Ce changement, selon eux, rend leur contenu plus attrayant pour les auditoires non-radicalisés, sans toutefois les forcer à abandonner leurs positions extrémistes.

 

« On a un projet pour vous, ça s’appelle la remigration »

 

À travers les vidéos qui se trouvaient sur leur chaîne, les communautés minoritaires religieuses et racisées sont dénoncées à leur tour comme membres d’une alliance contre la « majorité francophone historique du Québec ».

Les Juifs, d’une part, se voient critiqués par Cormier-Denis pour leur « vieille tradition de refuser de s’assimiler dans les sociétés où ils se trouvent » - un argument qui s’appuie sur de vieilles thèses antisémites - tandis que son collègue Sébastien de Crêvecoeur les décrit comme des « idiots utiles » manipulés par les islamistes, notamment dans le combat contre la laïcité.

Dans un épisode intitulé « Panique hasidique », Cormier-Denis partage son plan pour rectifier les « problèmes démographiques »  du Québec, en feignant un appel au consul israëlien à Montréal.

« Shalom, ça va? Oui oui, en forme. Écoutez, monsieur le consul, on a un problème avec vos tribalistes à boudin, là. Ils respectent pas nos lois, ils ont leurs écoles illégales, ils ont leur propre bouffe cachère, ils s’en foutent, en fait, ils vivent des espèces de vies parallèles.Écoutez, on a un projet pour vous. Ça s’appelle la remigration. C’est cadeau, on vous les envoie. On paie leur billets d’avion pour qu’ils retournent en Israël ».

« Les Juifs en Judée, les Algériens en Algérie, et les Haïtiens en Haïti. Le Québec, c’est quoi? C’est le foyer national des canadiens-français » conclut-il. 

Toujours selon Cormier-Denis, le quartier montréalais d’Outremont a été « colonisé » par les Juifs hassidiques, qui auraient pris le contrôle des institutions municipales. Lui qui est chrétien ultra-traditionaliste cache mal sa rage lorsque le terme « judéo-chrétien » est utilisé pour décrire les supposées valeurs occidentales, puisqu’il n’est pas sûr si les Juifs « font partie de la nation ». 

Dans une lettre ouverte portant sur « Israël, les Juifs et le Québec » écrite en 2020, il explique qu’à moins que les Juifs ne se convertissent au Christianisme, il préfère qu’ils demeurent « à Jérusalem », plutôt que de les voirs « trafiquer du vin cachère » au Québec.

« Combien de politiciens Juifs, de journalistes Juifs, d’artistes Juifs participent réellement à la vie nationale québécoise? Très peu en vérité ».

Il ajoute que la remigration des Juifs en Israël serait une solution pragmatique, puisqu’elle coïncide avec ses « objectifs démographiques » tout en « débarrassant » le Québec des « dérives des sectes hébraïques qui, de toute façon, n’ont jamais réellement appartenu à la nation ».

La politique de remigration défendue par Cormier-Denis est basée autour de la déportation forcée des populations non-Européennes (non-blanches) vers leurs « pays d’origines » - même s’il n’y ont jamais mis les pieds. Cette politique est la même dont le groupe néo-Nazi Atalante fait la promotion.

Cette remigration serait « une sorte d’aliyah volontaire - ou pas », ajoute-il par la suite, faisant référence au mot utilisé par plusieurs Juifs pour décrire l’immigration vers Israël tout en faisant allusion à la nature potentiellement forcée du projet.

Le chef d’Atalante, Raphaël Lévesque, a d’ailleurs été invité pour une entrevue à Nomos-TV suite à son acquittement pour harcèlement criminel d’un journaliste ayant couvert son groupe. Lors de l’entrevue, Cormier-Denis va jusqu’à décrire l’acquittement de Lévesque - chanteur d’un groupe punk néo-Nazi qui a précédemment été inculpé pour trafic de drogue - comme une bonne nouvelle pour le camp nationaliste ». 

« On peut tous être content du résultat », ajoute-il, avant de conclure l’entrevue en demandant à Lévesque d’expliquer à ses auditeurs la procédure afin de rejoindre Atalante.

Avant de quitter l’antenne, ce dernier à aussi remis à Cormier-Denis un trophé pour « média nationaliste par excellence. »
 

Qui est Nomos-TV?

 

Si Alexandre Cormier-Denis est la tête d’antenne de Nomos-TV, son cofondateur Philippe Plamondon en est le bras-droit. Avec Sébastien de Crèvecoeur, il est l’hôte de « Culture et société », un émission ou le duo partage leurs opinions sur les enjeux sociaux.

Suite à la découverte des corps de centaines de jeunes autochtones sur le terrain d’anciens pensionnats, Plamondon s’est insurgé contre « l'ethno-masochisme » des québécois face au « Québec-bashing » des anglophones qui critiquent l’église catholique pour son rôle dans le système des écoles résidentielles. Selon lui, il n’y avait pas de « pensionnats de l’horreur » au Canada.

Si le mot « horreur » est pour lui inapproprié afin de décrire le génocide des peuples autochtones, il utilise souvent ce même mot pour décrire d’autres situations, comme le marriage gay et la « transparentalité » - en d’autres mots, la capacité des personnes transgenres d’avoir des enfants.

« Le lobby LGBT, c’est probablement le lobby le plus bruyant, le plus criard, le plus agressif de tout les lobbys politiques minoritaires des minoritées (sic), c’est certainement le plus agressif, le plus anti-tradition, et le plus anti-hétérosexualité, c’est une évidence, notamment par le marriage gay, le marriage des trouples, maintenant c’est les trois, après ça la transparentalité, l’homme qui porte… on est dans les horreurs, là. »

Plamondon, qui considère l’Islam comme « l’idéologie la plus criminogène du monde » décrit aussi les fusillades Islamophobes tel que perpetrées par Alexandre Bissonnette comme « les arbres qui cachent la forêt des horreurs commises par les migrants à travers l’occident. »

Cormier-Denis (gauche) et Plamondon (extrême-droite) avec Marine Le Pen (centre). Source: Montréal Antifasciste.

Avant de fonder Nomos-TV, Alexandre Cormier-Denis et Philippe Plamondon ont collaborés afin de créer « Horizon Québec Actuel », une organisation sans but lucratif décrite par Montréal Antifasciste comme un satellite québécois pour le Front National, un parti politique français fondé par Jean-Marie Le Pen, qui a été formellement inculpé d’avoir nié l’Holocauste à plusieurs reprises. Ce parti s’appelle désormais « Rassemblement national », et est mené par la fille de ce dernier, Marine Le Pen.

De son côté, Sébastien de Crèvecoeur est un immigrant français qui s’est installé au Canada après avoir étudié la philosophie à une Grande École française.

Dans un épisode de « Culture et société », ce dernier défends la thèse que le slogan des 14 mots - facilement le slogan suprémaciste blanc le plus populaire - n’est pas raciste ou choquant, le décrivant même comme « légitime ».

« Je veux bien que ça a été récupéré par des néo-nazis et je ne sais quoi, faut quand même s’arrêter et s'interroger sur le sens des chose, que dit cette phrase, en réalité, de si choquant. »

Loin d’avoir été « récupéré » par des néo-Nazis, le slogan des 14 mots à été écrit par David Lane, un terroriste suprémaciste américain qui a été condamné à 190 ans de prison pour le meutre d’un animateur radio Juif.

Selon le chercheur antifasciste Xavier Camus, de Crèvecoeur a aussi endossé les actions du meurtrier suprémaciste blanc Anders Behring Breivik, qui a tué 77 personnes - pour la plupart des adolescents - lors de deux attaques en juillet 2011. Dans une série de commentaires en réponse à une publication Facebook montrant des Musulmans qui prient en public, de Crèvecoeur aurait présenté Breivik comme « la solution » face au problème de l’islamisation.

« La solution, nous la connaissons, et c’est un blond norvégien qui nous l’a donnée…»

Après qu’un autre utilisateur lui ai répondu en lui demandant s’il blaguait, de Crèvecoeur renchérit.

« Absolument pas, si j’étais au pouvoir, je donnerais ordre à la police de tirer dessus. La seule différence étant que je placerais donc l’action sous le signe de la Force publique, et non de la violence désordonnée d’un individu. » 

Nomos-TV utilise Paypal, entre autres, pour collecter des dons. En réponse à une requête du Réseau anti-haine, Paypal a confirmé qu’ils ne commentent pas sur le statut de comptes individuels. En revanche, le compte Paypal de Nomos-TV est présentement inaccessible.

 

Contacté par le Réseau canadien anti-haine, Sébastien de Crèvecoeur nie toutes accusations de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, de transphobie et d’Islamophobie, précisant que ce dernier terme est un « concept sans pertinance ». Il considère aussi le concept de « haine » est « nul et non avenu » en politique, puisque celle-ci ne légifère pas sur les sentiments. 

Alexandre Cormier-Denis et Philippe Plamondon n’ont pas fait retour à nos multiples requêtes de commentaires. 

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