Sébastien Roback
Réseau canadien anti-haine
On mène une guerre contre l’hétérosexualité, les mesures pour contrer la COVID-19 représentent un ‘Holocauste moderne’, et le joug de la shariah s’impose graduellement au Canada. Bienvenue dans l’univers de Lux Média, une plateforme de nouvelles ‘alternatives’ qui promet de lire au travers des ‘fake news’ pour vous « réinformer ».
Assis derrière son bureau devant un grand écran vert, André Pitre, 52 ans, s’apprête à aller en onde, au grand plaisir de ses auditeurs fidèles. Si aujourd’hui les vidéos qu’il filme sont de qualité plutôt professionnelle, s’en était tout autrement il y a quelques années, alors que son espace studio se limitait au siège avant de sa voiture.
Dans ces vieux vlogs, Pitre s’en prenait fréquemment aux « justiciers sociaux » et aux « féminazis », ponctuant ses diatribes de sacres et d’humour grivois. En raison de sa conversion au Christianisme, Pitre a depuis révisé son vocabulaire, mais ses convictions politiques demeurent les mêmes.
« Il n’y a plus de limites » disait Pitre en septembre 2020 à propos de la gauche extrême, du « LGBT à outrance » et de la « destruction des frontières. » « C’est pour ça que je te dis Sodome et Gomorrhe. La seule solution, c’est un « flood » (...) un déluge. »
Aujourd’hui, Lux Média est l’une des plateformes les plus populaires pour l’extrême-droite conspirationniste au Canada, si bien que même certains politiciens établis sont confortables à y faire apparition.
De troll à influenceur haineux
Avant de se lancer dans la « réinformation », Pitre était plutôt connu sous le nom de « Stu Pitt », un troll dans l’orbite de l’humoriste trash Gab Roy condamné en 2015 pour avoir commis des crimes à caractère sexuel contre une adolescente. Quelques jours après la publication d’une vidéo filmée par une personne se décrivant comme l’une des victimes de Roy, Pitre participait sur scène au roast de celui-ci.
Une vidéo publiée en ligne montre son monologue, lors duquel il dit à la foule: « De toute façon, les filles de 15 ans veulent-tu vraiment s’faire mettre pas un autre gars de 15 ans? »
Pitre a retenu de ses jours en tant que troll une interprétation puriste du concept de la liberté d’expression, qui l’amènera éventuellement vers les groupes haineux. Bien qu’il nie aujourd’hui avoir gravité autour de la Meute, Pitre était autrefois considéré par certains comme leur propagandiste officiel.
Selon un article publié par le bloggeur Xavier Camus, Pitre était même membre du groupe Facebook du clan Bas St-Laurent du groupe islamophobe.
Pitre (centre) et des membres du groupe La Meute. Source: Xavier Camus.
Alors qu’ils gagnaient en popularité en misant sur la grogne contre les chercheurs d'asile du Chemin Roxham, Pitre s’est transformé en véritable mégaphone pour la groupe, qu’il décrit dans vidéo comme une organisation « centriste » qui représente les valeurs de la plupart des québécois.
« Plus que jamais, le Québec a besoin de La Meute. Plus que jamais, André Pitre a besoin de La Meute » disait-il dans une vidéo publiée à l’époque.
Les liens tissés par Pitre avec La Meute lui permettent éventuellement de bâtir une plus grande plateforme avec leurs supporters. Leurs dons en poche, Pitre lance finalement son Stu-Dio, lui donnant ainsi la capacité de produire des vidéos de meilleure qualité. C’est dans cet espace qu’il invitera plusieurs des figures haineuses les plus connues au Québec et au Canada. Alexandre Cormier-Denis de Nomos-TV fera même emprunt du Stu-Dio pour filmer ses propres vidéos.
Quand ce dernier s’est présenté comme candidat lors d’une élection partielle en 2018, créant une certaine controverse autour de son utilisation de pancartes racistes, Pitre a endossé ses ambitions, le décrivant comme « le choix le plus intelligent » pour contester le premier ministre libéral à l’époque, Philippe Couillard.
Sur la plateforme du Stu-Dio, Pitre popularise déjà des théories du complot, notamment par rapport à la motion M-103, présentée dans la chambre des communes et visant à condamner l’Islamophobie suite à la tuerie de Québec. En onde, il décrit la motion - qui contrairement à un projet de loi n’engage à rien légalement parlant - comme la fin de la démocratie au Canada, la comparant même à la loi de la shariah.
Une vidéo publiée par Pitre le montre même en onde en compagnie de Faith Goldy, cette ex-collègue d’Éric Duhaime à Rebel Media qui fut renvoyée après avoir fait apparition sur un balado néo-Nazi. En entrée de jeu, Pitre encense Goldy pour son travail avec les médias d’extrême-droite, lui partageant même son appui pour sa couverture « sceptique du narratif officiel » du procès d’Alexandre Bissonnette.
« On ne peut plus dire le mot ‘blanc’ dans notre société » dit Pitre à Goldy plus tard dans l’épisode, faisant référence aux critiques dirigées vers cette dernière pour avoir énoncé le slogan des « 14 mots » dans un autre balado.
Une usine à théories du complot
Des douzaines d’émissions aujourd’hui présentées sur la plateforme de Lux Média, chaque commence avec le même avertissement.
« Le Stu-Dio et Lux Média sont des plateformes de libre-expression sans ligne éditoriale. Les propos des animateurs et des invités sont de nature personnelle et ne peuvent pas être attribués au Stu-Dio ou à Lux Média. »
Malgré les avertissements, les vidéos publiées par Lux Média parlent souvent des mêmes enjeux, du même angle. La pandémie de COVID-19, les mesures sanitaires et les vaccins sont tous présentés comme faisant partie d’un méga-complot orchestré par les élites et leur «agenda mondialiste. »
La nature de ce complot, en revanche, est plus fluide. Les vidéos publiées par Pitre ont notamment aidé à la popularisation de Qanon au Québec, alors qu’Alexis Cossette-Trudel faisait toujours partie de l’entourage du Stu-Dio avant son départ en 2018.
Pitre (au centre) avec Ken Pereira (gauche) et Alexis Cossette-Trudel (droite).
Plus souvent qu’autrement, c’est le co-animateur de Pitre, l’ex-syndicaliste devenu complotiste Ken Pereira, qui se charge de discuter des théories du complot les plus loufoques en onde. Une vidéo publiée en 2019 le montre notamment parler d’une théorie selon laquelle des aliens auraient aidé les Nazis durant la deuxième guerre mondiale.
« Ça se peut bien que c’est de bullshit totale » dit Pereira en conclusion de cette vidéo.
Ce n’est pourtant pas la seule fois que les extraterrestres font parler d’eux dans le Stu-Dio. Caroline Mailloux, qui anime plusieurs émissions présentées par Lux Média, est fièrement titulaire d’un diplôme en « exopolitique », qui s’avère être l’étude des relations interplanétaires entre la planète terre et les peuples d’autres planètes.
Défendant sa discipline en onde, Mailloux explique même qu’il y a « tellement d’insiders, tellement d’évidences de gens qui ont travaillé au sein des gouvernements » qu’il n’y a plus lieu de démontrer qu’il existe véritablement une présence extraterrestre.
Malgré tout, Pitre est lui-même friand des théories du complot, partageant même l’opinion que les vaccins contre la COVID-19 pourraient donner le VIH à ceux qui le reçoivent, se basant sur un article disant que le virus infecte maintenant plus d’hétérosexuels que d’homme ayant des relations avec d’autres hommes.
Répandre le VIH de cette façon, selon Pitre, pourrait faire partie d’un complot des élites afin de pouvoir éventuellement réimposer de nouvelles mesures sanitaires après la fin de la pandémie de COVID-19.
Des amis haut-placés
Au fil des années, les ondes de Lux Média se sont transformées en un véritable portrait de la droite conspirationniste du Québec et du Canada, avec comme invités des politiciens comme Maxime Bernier, Derek Sloan, Randy Hillier, ainsi que des activistes comme Chris Sky, Dan Pilon et Patrick Beaudry.
Cependant, cette brochette d’invités n’a pas empêché certains politiciens établis de se présenter dans les studios de Lux Média.
Éric Duhaime faisait une apparition sur Occident, animée par Eric Le Ray, en février 2021, quelques semaines avant de devenir chef du Parti conservateur du Québec. Sous sa chefferie, certains sondages placent le PCQ en deuxième places des intentions de vote.
Duhaime (à droite) dans les studios de Lux Média.
Certains membres influents du Parti Conservateur du Canada, notamment le Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, le député de Charlesbourg–Haute-Saint-Charle Pierre Paul-Hus et la vice-présidente du parti Valérie Assouline ont aussi été interviewé sur les ondes de la plateforme.
Valérie Assouline, qui est aussi membre du conseil de la ville de Dollard-des-Ormeaux, Québec, y est apparue pas moins de 3 fois.
Lorsque contacté par le Réseau canadien anti-haine, un employé du député Pierre Paul-Hus a dit que ce dernier ne connaissait pas André Pitre ou ses antécédents alors qu’il lui accordait une entrevue.
André Pitre, Éric Duhaime et Valérie Assouline n’ont pas fait suite à nos courriels.