Sébastien Roback
Réseau canadien anti-haine
Depuis son élection à la chefferie du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime s’affaire à redorer son image. Il a abandonné certaines de ses opinions plus controversées, notamment l’idée que les pauvres ne devraient pas avoir le droit de voter, et nie avoir promu des positions conspirationnistes dans le passé.
Ses liens avec l’un des influenceurs anti-mesures sanitaires, cependant, placent un doute sur ce déni.
Samuel Grenier, un comptable blainvillois, s’est bâti une tribune au cours de la pandémie en filmant ses discussions avec des leaders complotistes comme Alexis Cossette-Trudel, Stéphane Blais, et Dan Pilon.
Dans ces vidéos, Grenier décrit parfois ces invités comme ses « collègues ».
Samuel Grenier (rangée arrière, deuxième à partir de la gauche) en compagnie de plusieurs complotistes influents, notamment Dan Pilon (rangée arrière, à l’extrême-gauche), Lucie Laurier, Alexis Cossette-Trudel et Stéphane Blais (rangée arrière, quatrième, troisième et deuxième à partir de la droite, respectivement). Source: Xavier Camus.
En mai 2021, Grenier et Dan Pilon organisaient d’ailleurs Québec Debout, une grande marche contre les mesures sanitaires autours du Stade Olympique de Montréal, à l’époque le plus grand centre de vaccination en ville. Dans une publication Facebook, Grenier décrivait ce dernier comme un « abattoir » et partageait son intention de « l’encercler ».
La clinique de vaccination du Stade Olympique a dû fermer pour la journée.
Éric Duhaime et Samuel Grenier se sont rencontrés en août 2020 lors d’une marche contre l’imposition du port du masque dans les écoles. Des photos prises lors de la marche montrent la paire marchant côte-à-côte.
Grenier (à gauche) avec Éric Duhaime (droite) et Josée Turmel (centre). Source: Facebook.
Suite à l’annonce de la candidature de Duhaime à la chefferie du Parti conservateur du Québec, à l’époque sans sièges à l’Assemblée nationale, Samuel Grenier s’est empressé de s’inscrire comme membre afin de le supporter. Dans un « direct » publié en février 2021 en compagnie de Duhaime, ce dernier offrait son appui officiel à l’ex-employée de Rebel Media, tout en demandant à ses abonnés de s’inscrire comme membres pour « envoyer un message à François Legault ».
« Envoyez un message clair à Mr. Legault, à l’effet qu’il y a de la résistance, à l’effet qu’il y a d’autres idées qui se promènent, qui sont différentes des siennes, et que vous avez le droit de les soutenir. C’est pour ça que je me suis levé rapidement pour dire moi, j’appuie. C’est très important que les gens le sachent, parce que c’est une façon de dire non, je refuse à ce qu’on me conditionne à me dire qu’on doit accepter ce qui se passe ».
« Samuel, j’ai hâte de te voir en personne pis que ce soit pas en virtuel, j’espère que la prochaine fois on aura la chance de faire ça dans un café ou un restaurant! » conclut l’ex-animateur radio à la fin du direct.
Depuis cette annonce, Grenier compte parmi les plus grands supporteurs d’Éric Duhaime, et a partagé sa tribune plus d’une fois avec ce dernier..
La dernière apparition d’Éric Duhaime dans un direct de Samuel Grenier, en décembre 2021, a duré pas moins de quarante minutes.
Grenier a lui-même été l’invité de Duhaime lors de quelques-uns de ses « lives du mardi ». Lors de sa plus récente apparition, le 13 janvier 2022, le directeur exécutif du Parti conservateur l'introduit même comme « Samuel, qu’on connaît bien ». Lors de cette discussion, Duhaime invite Grenier à faire du bénévolat pour l’actrice Anne Casabonne, qui se présentait comme candidate à l’élection partielle de Marie-Victorin. Des images publiée sur les réseaux sociaux du Parti conservateur du Québec un mois plus tard montrent que cette invitation fut acceptée.
Samuel Grenier avec d’autres bénévoles pour la candidate Anne Casabonne du Parti conservateur du Québec.
« J’aime beaucoup ce gars-là parce qu’il est positif. La qualité que j’aime le plus de Samuel c’est son côté positiviste, je trouve qu’il a un côté très positif, il a une énergie très positive, et j’ai toujours le goût de sourire et il me redonne toujours de la joie de vivre quand j’y jase » dit Duhaime après le départ de Grenier.
Après la défaite de Marine Le Pen lors des dernières élections présidentielles françaises, Samuel Grenier se rendait en direct sur Facebook pour exprimer son « découragement » avec les français, décrivant même les 58% d’électeurs ayant voté pour Macron comme des « soumis ». Il utilisait ensuite l’occasion afin de pousser ses abonnés à devenir membres du Parti conservateur pour éviter le même résultat lors des prochaines élections provinciales.
« Faut convaincre du monde d’acheter des cartes de membres, d’aller voter, d’être bénévole. Là on a un travail à faire. Si on est pas prêt à la faire, il faut être prêt à subir le même résultat qu’on a en France, on va réélire ce parti là (la CAQ), il va se sentir en autorité morale de faire tout ce qu’il souhaite, et nous allons payer pour ».
Quelques semaines plus tôt, Grenier comparait même la dénomination de Marine Le Pen comme une politicienne d’extrême-droite à la façon dont François Legault parle d’Éric Duhaime pour cacher ses propres positions extrémistes.
« En 2017, j’avais déjà écrit: Marine, si on vous exclut de la France, venez ici au Québec faire le ménage. Parce que effectivement, on a besoin de quelqu’un comme elle ».
En réponse à un courriel envoyé par le Réseau canadien anti-haine, Grenier dit ne pas endosser toutes les positions de Marine Le Pen, mais qu’il aime le fait qu’elle « travaille contre Macron qui est très mondialiste ».
Malgré les prises de positions de Samuel Grenier, Duhaime et son parti ont partagé à plus d’une occasion du contenu tiré de ses directs, et le montrent même dans plusieurs scènes de la vidéo de l’annonce de la candidature du chef du Parti conservateur dans le comté de Chauveau.
Plusieurs plateformes médiatiques mentionnent dans leurs reportages le rôle de Samuel Grenier dans l’écosystème complotiste du Québec. Malgré tout, aucune de ses plateformes n’ont encore rapporté ses liens avec Éric Duhaime. Des sondages récents montrent que le Parti conservateur du Québec pourrait faire des gains importants dans les prochaines élections provinciales, en octobre 2022.
Un complotiste « modéré »
Depuis son apparition sur la scène complotiste au Québec, Grenier cultive l’image d’un activiste plutôt poli qui favorise le dialogue et qui évite de faire la promotion des théories plus loufoques.
« Vous savez que je ne suis pas très dans le mondialisme, dans le complotisme. Vous le savez, ce n’est pas mon discours. Beaucoup savent pourquoi. Je vis avec les impacts de cette mauvaise gestion de crise, et moi je travaille avec les gens qui sont impactés, dont beaucoup les entrepreneurs. Souvent vous êtes là à vouloir m’amener là où vous voulez, puis c’est correct, je ne vous en veux pas, mais moi je préfère rester dans le constat, dans ce qui se vit présentement » dit-il dans l’un de ses directs.
Cette représentation de ses opinions contredit celles qu’il exprimait dans son courriel en réponse aux questions du Réseau canadien anti-haine.
Dans ce même courriel, Grenier nie être un complotiste, disant plutôt que le terme est utilisé pour « noircir les personnes qui osaient remettre en question le narratif officiel ».
Toutefois, en décembre 2021, Grenier organisait un direct sur Facebook lors duquel il réclamait vouloir « tuer le narratif apocalyptique » par rapport au variant, suggérant même que les craintes du public face à la 5ème vague a été exploitée pour faire peur aux gens et les convaincre les gens à « retrousser leurs manches et recevoir la piquouille volontairement ».
Les statistiques montrent que cette vague était l’une des plus mortelles de toute la pandémie.
Dans une publication Facebook, Grenier se moquait aussi du système de passeport vaccinal, comparant celui-ci à l’imposition d’une limite de poids pour les regroupements à l’extérieur, puisque « ce serait dommage de ne pas récompenser ceux qui font des efforts pour ne pas congestionner les hôpitaux ».
Dans une autre publication, il décrit comme « inspirant » le controversé microbiologiste français Didier Raoult, qui a popularisé l’utilisation de l'hydroxychloroquine pour guérir la COVID.
Si Grenier évite plus souvent qu’autrement les prises de positions plus controversées, parlant plutôt « d’unité » au sein du mouvement contre les mesures sanitaires, les individus avec qui il partage sa plateforme sont souvent plus radicaux. Son réseau de collègues inclut des gens issus du mouvement Qanon, des activistes anti-vaccins, et des anciens membres de groupes haineux.
Son approche à la politique lui a permis de bâtir des ponts au travers et en dehors du mouvement. Sa manifestation au Stade Olympique, avait notamment attirée un large contingent associé au mouvement Qanon, ainsi que des politiciens comme Maxime Bernier.
Dans son courriel au Réseau canadien anti-haine, Grenier a confirmé qu’il est souvent en désaccord avec ses comparses, citant notamment son désaccord avec les thèses de Qanon, mais que ce n’est « rien de grave pour une personne libre en pensée » comme lui.
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